Une
alternative éducative
Apprendre, à
l’Ecole en Bateau
Une
école du
savoir
faire et du bien faire
Education
Apprendre,
à
l'école en bateau
Rester dans
le
bateau à étudier les Fourberies de Scapin
quand on est mouillés dans l'oasis de Gabès... c'est scan-da-leux !!
(MIchel, 2 ans à
bord)
« Un marin sait tout
faire ! »
-
Je cuisine, fais les courses, je répare le moteur, reconstruis la
timonerie, je carène le navire, je fais le point, les
calculs nautiques,
j'explore les pays, je fais des reportages, des fouilles, je rédige des
articles, des rapports... Si tout ça ce n'est pas apprendre, alors
qu'on me renferme en classe !
Et en plus, je forme les nouveaux qui arrivent !
Les
apprentissages se faisaient à
partir des diverses pratiques auxquelles chacun se mettait petit à
petit, parfois seul (observant, tâtonnant, cherchant,
puisant dans les ouvrages du bord), plus
souvent guidé par d'autres
déjà passés par là, aptes à expliquer avec les mots
adaptés.
L'importante bibliothèque générale et technique, l'équipement en
machines
et outils, en instruments de recherche et de navigation, permettaient
que
se développent des connaissances diverses selon un éventail
ouvert, avec approfondissement
des domaines correspondant aux intérêts des uns et des autres.
Complémentarités qui faisaient justement une équipe.
(
Apprendre
)
Avant même leur apparition dans
les collèges, les
ordinateurs embarquèrent sur le Karrek Ven, complétant un équipement
multimédia nécessaire à la
réalisation des rapports de recherche, à la fabrication de la revue des
expéditions,
le
Petit
Voyageur,
et de films documentaires, montés et sonorisés à bord.
Ce travail
développait les talents
informatiques, artistiques, graphiques et
rédactionnels.
Le rapport
sur une
fouille archéologique se complétait
de relevés topographiques, puis du tracé
d'une carte de la
zone
d'investigation (ci-dessous, réalisée par Francis - ici dans son
puits de fouille - avec ses compagnons topographes) :
Vivre
à l'étranger permet une assimilation rapide des
langues,
pourvu
que l'on complète les rencontres par un peu d'entraînement sur
le bateau.
Et voyager
enseigne l'histoire et la géographie, physique et humaine, du
monde.
Quant
à la navigation même, elle est une source d'apprentissages
qu'il est possible de pousser loin : mesure de l'espace, échelles,
méridiens et parallèles, projection de Mercator, marées, circulation
des vents et des courants, prévision
météo,... un vaste champ pour un passionné. (
Manny
et Pierre)
Une
partie de ces apprentissages se trouva correspondre à peu près à
l'enseignement primaire et secondaire, mais sous une forme plus
pratique, liée à l'expérience :
rédiger, calculer, parler d'autres langues, connaître le monde physique
et humain.
Sur ce savoir concret, solide, les notions théoriques du
collège et du lycée pouvaient facilement et rapidement se greffer et
fructifier au retour de ces jeunes dans l'enseignement classique.
Certes, tous à bord n'en tiraient pas pleinement profit, mais en
va-t-il
différemment en classe...?
Une
école du savoir-faire
et du bien-faire
Les fouilles,
je trouvais ça long. Je préférais préparer le repas des fouilleurs,
tout seul tranquille sur le bateau,
et le leur amener en
barque à midi. Toujours bien accueilli : ils avaient faim et, surtout,
c'était bon !
(Benjamin, 16 mois à bord)
1/
Pour savoir faire et bien faire : la recherche.
La recherche
donnait
un but
aux voyages et aux explorations, et s'est avérée un puissant outil de
formation.
Elle exista dès les débuts de l'Ecole en Bateau.
Dans les
années 70, une partie des activités se focalisa
autour de la plongée,
faisant découvrir la faune et la flore aquatiques, et
l’archéologie sous-marine.
Dans les
années 80, des
recherches historiques
furent entreprises à travers
Méditerranée, mer
Rouge et Atlantique.
Durant les
années 90,
et jusqu’en 2002, des
recherches
archéologiques importantes
furent conduites chez les Amérindiens, pour le compte des musées et
organismes
archéologiques de pays de la Caraïbe.
La
préparation, l'exécution et la finalisation d’une recherche obligeaient
à approfondir les connaissances : se documenter,
interviewer, mener les fouilles, rédiger un article, un
rapport, sonoriser et
monter un reportage vidéo.
Pour être
crédibles, ces travaux devaient être bien étayés et bien
présentés.
D'une
manière générale, ce
travail se perfectionna au fil des
temps, un
savoir-faire se constituant à bord et se transmettant des "anciens"
aux "nouveaux". Equipement et connaissances
s'accrurent ainsi
jusqu'à un professionnalisme bien reconnu au cours de la dernière
décennie
de l'Ecole en Bateau.
En archéologie, le groupe se
trouva de plus en plus sollicité (services archéologiques français des
Antilles, musées et
services archéologiques des anciennes Indes Occidentales britanniques
(dont Ste. Lucie, Trinidad et Tobago), et République
Dominicaine...).

2/ Pour savoir-faire et bien-faire,
entretenir son bateau et ses équipements.
Un
navire tel que le Karrek Ven est un chantier permanent :
entretien courant, carénage annuel,
calfatage, travail du bois, réparation des voiles, entretien et
réparation des
machines et appareils divers... Ce fut l’œuvre des jeunes eux-mêmes, en
général sans
participation d’une main-d’œuvre extérieure. Activité très formatrice,
considérable tout au long de ces 33 années d’Ecole en Bateau.
Ces travaux
devaient être parfaitement exécutés pour
que la sécurité de tous et les diverses activités soient
assurées :
la mer
rudoie le matériel et n’accepte pas l’à-peu-près.
Les jeunes
ressuscitèrent le
Karrek Ven abandonné depuis plusieurs années quand il leur fut confié
en 80, et
le firent naviguer vingt deux ans.
3/
Pour savoir-faire et
bien-faire, réaliser des
reportages
pour magazines
et télévisions.
De bons reportages obligent à
fouiller et
à pénétrer plus en profondeur les sujets abordés, les cultures des pays
visités.
Faire le marché à l'étranger est une bonne motivation pour démarrer un
apprentissage de langue. Effectuer un reportage oblige à se
perfectionner dans la langue du pays
concerné. Le grec en Grèce, le turc en Turquie, l'arabe en Egypte,
l'espagnol, l'anglais,...
Des articles pour des revues
spécialisées (mer, histoire, musique, voyages, informatique)
obligeaient à des
enquêtes systématiques sur le terrain et en bibliothèque. Pour une revue nautique, dix ans
déjà avant de dresser les
cartes de sites archéologiques américains, l'équipage, au sextant et à
la sonde, fit les plans de mouillages fréquentés mais non encore
cartographiés : escales du détroit de Gibraltar, étude exhaustive des
ports
et mouillages des îles canariennes,...
- J'avais bien aimé faire ces plans !
- On avait gagné des sous, aussi !
Pour
être
exploités commercialement, les reportages
devaient
être parfaitement réalisés.
Ainsi,
les activités du bord (recherche, entretien du navire, reportage),
conduisaient non seulement à développer des savoirs,
mais à donner le goût et l'habitude du travail bien fait : la recherche
pour être crédible auprès des scientifiques,
l'entretien du navire pour garantir la sécurité de
tous, et
les reportages
pour être commercialisables.
D’où
l’apparent paradoxe : prolonger
le séjour à bord, donc hors de
la
scolarité, ne pénalisait pas la reprise d'études académiques, au
contraire…
(Rapport
durée du séjour / études universitaires ou non).
Les visiteurs du bateau
étaient souvent surpris devant les réalisations de ce groupe de
jeunes : la
beauté du cadre qu’ils entretenaient (tradition vieille marine),
le niveau des échanges avec chacun d'eux, le
professionnalisme des
recherches en cours... l’excellence
du repas (il y eut des "dynasties" de passionnés de cuisine).
Les
pêcheurs d'une baie de Tobago, réputés pour leur rejet des étrangers,
après avoir tenté de repousser ce groupe en mer en lui causant des
ennuis, cédèrent, suite à l'admiration qu'ils éprouvèrent
devant le travail constant et appliqué des jeunes
sur le
site archéologique voisin. Lors d'une autre visite du Karrek Ven,
quelques années
après, ils acclamèrent le nouveau groupe, à peine l'ancre jetée !
Autre source d'étonnement : voir
s’activer ces adolescents sans
qu’aucun ordre fût donné. Considérés en
"majeurs", responsables, ils se comportaient "naturellement"
ainsi...
Education
Au début,
j'avais peur de sauter à la mer quand le bateau filait, j'avais peur de
grimper à la hune, j'avais peur aussi la
nuit, à la barre,
mais je voyais les autres le faire, alors je l'ai fait.
Maintenant, j'aime bien.
(David, 16 mois à bord
)
« La
mer forme le caractère ! »
Affronter des
situations nouvelles dès qu'on embarque :
- Le bateau
c'était complètement nouveau, j'osais rien toucher, en arrivant,
j'comprenais rien !
Et les autres jeunes, qui ne sont pas juste d'autres élèves comme lors
d'un
simple changement d'école, mais des marins ! Et le capitaine... (avant
de s'apercevoir que cette fonction pouvait être remplie par des jeunes
mêmes.)
- Ne plus attendre
l'ordre, pour agir, mais décider moi-même
quand je jugeais que c'était bon, ça m'a pris du temps !
Le
voyage ou les explorations bouleversaient souvent le
quotidien :
-
naviguer de nuit !
- lutter contre un vent violent,
une grosse mer...
- réparer provisoirement en navigation ce qui vient de casser,
pour ne pas que ça empire, quand ça valdingue de
partout ...
Il y avait des
initiatives à prendre, parfois rapidement, dont pouvait
dépendre tout le
groupe.
Certains abandonnèrent après quelques semaines ou quelques mois,
ne parvenant
pas suffisamment à s'adapter, à réagir (ou ne le désirant pas).
Vaincre ses peurs
: lors des premiers quarts de nuit à la barre ; lors du gros temps ;
lors
d'une longue croisière en pleine mer sans aucune terre ni aucun autre
navire en vue ; pour grimper au mât décoincer un cordage ou faire la
vigie dans les récifs... ou plus simplement à l'occasion de
l'utilisation d'une
machine-outil ; ou bien, en pleine navigation, plonger de
l'avant du
bateau que l'on voit alors défiler rapidement et auquel on
s'accroche au passage par un cordage à la traîne !
L’affrontement physique avec la nature dans les coups de vent révèle
chacun à
lui-même et trempe son caractère : se jeter sur les voiles
qui claquent, en dépit du roulis et des paquets de mer, est à la fois
un
dépassement et une réalisation de soi.
Ecole de courage moral et physique.

Vivre et travailler en équipe.
Mener un voilier est une opération en équipe bien
coordonnée, où chacun sait, non seulement ce qu’il doit faire, mais ce
que
doivent faire les autres. Il se rend compte qu’il a besoin des autres
et que
les autres ont besoin de lui.
Les recherches, les explorations également étaient des opérations en
équipe.
Elargir
son point
de vue par l'ouverture aux habitants des pays visités.
Le
bateau recevait de nombreux visiteurs.
A
Cuba, il fut même accueilli de façon officielle, les Cubains étant
curieux de ce qui se fait ailleurs et voyant, dans le travail
de ces jeunes marins et la
démocratie du bord, un idéal éducatif.
Tous
les reportages étaient l'occasion de rencontres locales
approfondies avec les populations : pêcheurs, spécialistes de
la nature, archéologues, historiens. Souvent les pays
mettaient à disposition véhicules
et
chauffeurs pour les reportages et les tournages.
L'équipage offrait son aide bénévole dans les pays traversés
:
transport de matériel pour des Indiens insulaires, sorties scolaires
d'initiation à la voile et à la mer, mais surtout,
importantes recherches archéologiques et travaux pour les
collections des musées. Ce dernier apport fut considérable
et représenta des mois de travail de terrain (prospection et fouilles),
et des semaines dans les musées (restauration des pièces,
jusqu'au démontage en fouille et au remontage au musée d'un squelette
précolombien inhumé en position rituelle).


Le développement
physique et sensoriel trouvait à s'épanouir par cette vie
active en pleine nature, par la mer, le
vent, le soleil, par les manœuvres. D'autant que les lieux de
navigation et de séjours furent souvent ceux de
latitudes favorisant la vie à l'extérieur
(Méditerranée, mer Rouge, zone tropicale).
Le stade avait les
dimensions
d'une mer...
.

Par cette vie en mer, ces manœuvres, ces responsabilités, ces
recherches, ces rencontres, chacun pouvait se
découvrir et se construire.
Il s’éprouvait,
se structurait, apprenait une rigueur
motivée : le
bateau a
ses règles, la mer a les
siennes, la vie de groupe également.
Et si quelqu'un doutait de
lui-même, à
participer à ces expéditions peu ordinaires il trouvait de nombreuses occasions
de restaurer son estime de soi, condition
d'une réussite ultérieure.
Le
bateau s’avéra un outil très complet de formation de
jeunes rêvant d’aventure, et parfaitement adapté à eux.
Le Karrek Ven, par son
appartenance à la vieille marine en bois, fut, en outre, un bateau de
rêves
et
d’explorations lointaines.
